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Chroniques
Henri Duparc
Lettres à Jean Cras, « le fils de mon âme »
« En octobre 1901 je viens à Paris où ma mère s’est fixée depuis 1898 et par l’intermédiaire d’un vieil ami de Brest, M. de Mussy, avocat et musicien fervent, je fais la connaissance de Henri Duparc. (…) Reprenant les plus purs chefs-d’œuvre il m’apprit à en analyser la structure, à en mesurer les proportions, à en admirer le choix des tonalités. »
Placés en annexe, ces mots du compositeur Jean Cras – prononcez Craz, le bronzé en breton – sont les rares signés de sa main au cœur d’un ouvrage qui, comme son titre l’annonce clairement, ne retranscrit pas la correspondance qu’ont entretenue Duparc et son cadet durant un quart de siècle, mais seulement des lettres que l’aîné a écrites à ce confrère qu’il persuada de ne pas quitter la Marine. Même si elles apparaissent parfois en creux, les réponses de ce dernier ont malheureusement été perdues dans l’incendie du château de Mondégourat, une propriété familiale. C’était en 1935, peu de temps après la mort des intéressés.
Cette centaine de lettres couvre la période 1901-1926, soit du moment où un compositeur âgé de cinquante-trois ans rencontre un novice venu lui soumettre quelques essais, à celui où la cécité rend l’écriture impossible. On y découvre le disciple de César Franck prendre en affection celui qui perdit son père à l’âge de dix ans et vivre ses succès par procuration. Au début du siècle, en effet, Duparc a derrière lui sa meilleure période créative (quinze ans) et rumine cette Roussalka détruite par découragement. Sans abuser de l’admiration qu’on lui porte – « on n’est pas maîtrepour avoir écrit un poème symphonique et une douzaine de mélodies ! » –, l’occasion est trop belle de partager ses convictions artistiques, notamment quand Cras amorce la conception de Polyphème.
Outre des conseils sur la nécessité d’éviter la « musique faite pour l’oreilleet non pour le cœur » (trop pleine de « chatoiements de couleur » debussystes), celle d’écouter d’illustres devanciers (Bach, Händel, Couperin, etc.), Duparc se laisse aller, très tôt, à des confidences sur son état de santé. Ces lamentations sur le « pauvre vieux musicien raté, malade, et à moitié pourri », quoique nimbées d’humour, peuvent lasser par leur répétition et – peut-être – leur complaisance. Mais si l’on est conscient de sa propre déchéance, que l’on attend de Dieu « la seule guérison de tout », n’est-ce pas naturel de se plaindre à un proche ? Une preuve ultime que Jean Cras était bien « le fils de [s]on âme ».
LB